Contexte
En vue de la négociation de la prochaine convention collective des professeures et professeurs des cégeps membres de la FNEEQ, le Groupe de réflexion et d’action en solidarité avec les profs précaires (GRASPP), qui compte actuellement près de 400 membres pour la plupart des professeurs de cégep non permanents et d’un peu partout dans la province, considérait important de faire une synthèse des différents enjeux qui sont vécus dans l’ensemble du réseau, autant pour les précaires de la formation régulière que pour les chargés de cours de la formation continue (FC).
Le texte qui suit est une ébauche en ce genre. Bien qu’elle n’ait pas la valeur d’un véritable travail de recherche qu’un dégrèvement ou un financement quelconque aurait permis, ce travail bénévole fait la recension du rapport de la première rencontre du GRASPP, de différents rapports produits par plusieurs comités syndicaux portant sur le FC ou la précarité en général, de quelques bilans de la dernière négo, ainsi que tous les récents échanges à l’intérieur du GRASPP.
Face à un gouvernement différent, dont le message semble réellement prioriser – enfin – l’éducation et dont la bourse semble légèrement déliée, la nouvelle ronde de négociations permet à quelques cyniques d’espérer quelques gains minimaux, mais tangibles, pour l’éducation supérieure et en particulier pour les professeurs précaires dont on souhaite une meilleure rétention suivant l’embauche.
Aussi, alors que l’institution collégiale québécoise vient de fêter son 50e anniversaire officiel, les défis sont nombreux. Sans prétendre que la situation des précaires est pire qu’elle ne l’a jamais été, il est évident qu’elle ne représente pas une position désirable. Cet anniversaire rappelle d’ailleurs la fin de la vague de renouvellement du corps professoral qui permettait ces deux dernières décennies d’espérer une période de précarité plus courte.
Cet allongement de la précarité est alourdi par le creux démographique dans lequel nous nous trouvons actuellement. Alors qu’en 1991 il y avait eu environ 97 000 naissances au Québec, il n’y en a eu que 72 000 en 2002, année de naissance de plusieurs de nos étudiants actuels. Plusieurs des dernières retraites de professeurs permanents n’ont donc pas mené à l’ouverture de poste.
Qui plus est, cette nouvelle population étudiante est différente; plusieurs intervenants observent un niveau de littératie inférieur, plus de cas d’étudiants et d’étudiantes en situation de handicap (EESH), et une tendance plus forte à étudier à temps partiel, créant une réduction de «périodes étudiants semaine» (PES) globalement dans les cégeps, et donc, une réduction du financement disponible pour l’emploi de nouveaux professeurs.
D’autant plus que selon le rapport du ministère de l’Éducation intitulé Statistique de l’enseignement supérieur 2014, il y avait alors 11 160 enseignants non permanents contre 10 313 permanents dans le réseau des cégeps. Il est donc temps que cette majorité de professeurs moins avantagés et moins favorablement disposés à la participation aux différentes instances syndicales soit entendue et qu’on se préoccupe de son sort.
Enjeux et problèmes
Voici en vrac la synthèse des enjeux que nous avons pu répertorier à partir de la somme de ceux que vivent les professeurs et professeures non permanents.
Formation régulière
- Remplacements et tâches
Puisqu’on ne peut tenir rigueur à un enseignant d’être travaillant ni de vouloir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, on ne peut lui demander de rester à ne rien faire et de demeurer disponible en attente d’une hypothétique tâche d’enseignement une fois que les ressources seront attribuées. C’est pourquoi nous regrettons les phénomènes suivants :
- Le manque de flexibilité pour accommoder les remplaçants et ceux qui apprennent leur tâche d’enseignement à la dernière seconde; au minimum, les remplacements devraient pouvoir être découpés pour respecter autant que possible les contraintes horaires du prof qui a priorité, ainsi que pour faciliter la conciliation famille-travail, étude-travail et même travail-travail, car il n’est pas rare qu’un professeur doive cumuler des contrats dans divers cégeps au début de sa carrière.
- Il est aussi déplorable que les précaires soient dans l’obligation rationnelle de faire des calculs stratégiques complexes et angoissants afin de maximiser leurs chances de ne pas se faire dépasser sur la liste de priorité d’emploi. D’autant plus que ces calculs les mènent souvent à accumuler des tâches très difficiles et complexes, souvent plus lourdes que celles des professeurs qui ont pourtant plus d’expérience.
On épuise alors les nouveaux enseignants alors qu’ils ont tout à bâtir de leur matière de cours.
Sans compter que lorsqu’on remplace plusieurs enseignants qui donnent le même numéro de cours, même si ces cours peuvent être factuellement très différents selon les départements, ils ne comptent que pour une seule préparation, ce qui peut être totalement fallacieux.
On déplore aussi que ces situations reposant sur la chance soient arbitraires et puissent miner les relations de travail entre des collègues précaires, puisque des dépassements en priorité d’emploi peuvent survenir même lorsqu’en toute bonne foi un professeur accepte tout ce qu’on lui propose.
- Un autre problème du réseau collégial est le fréquent débalancement entre les tâches de la session d’automne et celle d’hiver. Bien qu’il puisse reposer sur le comportement global des étudiants de cégep (par exemple la désinscription après la première session), cette situation crée artificiellement des précaires et produit des chômeurs saisonniers malgré eux. La solution qui existe est de surcharger l’ensemble des profs à la session d’automne afin de libérer des ressources pour l’hiver. Mais en plus d’alourdir la tâche de tout le monde à l’hiver, cela implique moins de profs qui travaillent en somme sur l’année. Un choix qui n’est pas facile à faire pour plusieurs départements.
- Avec la dernière négo est arrivée la réduction de la Ci maximale, passant de 88 à 85. Cela dit, cette réduction ne s’est pas accompagnée d’une réduction de la Ci minimale pour l’obtention d’un «équivalent temps complet» (ETC) à la fin de l’année. Donc, ce changement nous nuit plus qu’autre chose, car il réduit la marge de manœuvre dont nous disposons pour confectionner les tâches d’enseignement. Les précaires se retrouvent incapables d’avoir une très grosse tâche à l’automne – en espérant compléter une tâche annuelle plus facilement à l’hiver – parce que le collège ne veut pas les payer en surtemps si jamais lesdits profs ne travaillent pas à l’hiver, ce qui est souvent le cas… Mais pour le dernier précaire qui travaille, cela signifie que c’est plus difficile de compléter son ETC à moins d’accepter une tâche hivernale parfois excessivement lourde.
Qui plus est, à l’échelle départementale, la Ci maximale rigidifie la distribution des tâches et nuit grandement, surtout pour les départements avec un petit nombre de numéros de cours, et dont ces cours sont de 3 heures ou plus par semaine, car un groupe de plus signifie souvent au moins 8 points de Ci, alors que la marge de manœuvre entre la Ci minimale pour avoir un ETC (80) et la Ci maximale n’est que de 5 points.
Qui plus est, il n’y a que les professeurs qui obtiennent une tâche d’enseignement suite à la confirmation des tâches qui ont l’obligation d’avoir 40 de Ci pour avoir une session complète, les permanents peuvent souvent en faire bien moins. Dans la logique de la rétention des jeunes profs, et celle de les intégrer intelligemment dans la fonction de prof de cégep, il faudrait que ce soit eux à qui on donne une chance d’avoir une tâche modérée pour les premières années, pas le contraire.
- Condition de travail et salaire
- Le niveau d’épuisement chez les enseignants précaires est malheureusement élevé. Les fatigues physiques, psychologiques et intellectuelles sont de réels problèmes pour ces enseignants qui, en raison de leur statut précaire, se voient justement confrontés à des difficultés liées à l’obtention de congés de maladie, de congés de maternité et d’assurances collectives.
- Dans un autre ordre d’idées, plusieurs de nos membres considèrent le salaire de départ insuffisant. Même dans le cas d’un spécialiste ayant une maitrise dans sa discipline, il commencera avec à peu près la moitié du salaire de ses collègues rendu au plafond salarial, malgré les deux échelons reconnus pour sa maitrise. Et cela lui prendra 14 ans d’enseignement à temps plein pour rejoindre son plein salaire.
Pour un spécialiste ayant un baccalauréat ou une maitrise, ce n’est pas attrayant de ne recevoir que 44 000$ ou 46000$ en revenu brut annuel, soit à peine plus que la moitié du revenu d’un compagnon en plomberie selon la Commission de la construction du Québec.
- Une pratique qui a cours dans plusieurs cégeps consiste à l’étalement des paies sur l’ensemble des semaines d’une session lors d’un remplacement, même lorsque celui-ci ne dure que quelques semaines. Si cette personne recevait préalablement des prestations d’assurance-emploi, alors le préjudice financier est énorme.
- Bien entendu, notre revenu gagné sur 10 mois de travail est redistribué sur toute l’année sans interruption pour des raisons historiques, notamment pour ne pas abuser indument des prestations d’assurance-emploi. Cela dit, lorsqu’un professeur travaille à temps plein à la session d’automne, il recevra sa dernière paie environ un mois après la fin de son contrat.
Donc, si on ne lui annonce pas de tâche à l’hiver, il sera sans travail pendant un mois, mais dans l’impossibilité de recevoir une prestation d’assurance-emploi, car sa paie de vacances est étalée.
Pire encore, si cette personne apprend qu’elle donnera finalement un cours de 3 heures à partir de la 2e ou de la 3e semaine de la session d’hiver, elle devra vivre avec quelque chose comme le 5e de son salaire, car elle n’aura pas accès à l’assurance-emploi sans avoir vécu une semaine sans rémunération. Ce stress financier est celui de tous les professeurs qui sont sur la ligne d’avoir une tâche en début de session.
Formation continue et RAC
- La rémunération des chargés de cours est très inférieure à celle de leurs comparses à la formation régulière. Un enseignant avec une maitrise, à 78$ par heure de cours, pour un temps plein à 450 heures, soit plus que la moyenne d’heures enseignées à la formation régulière, cela donne environ 35 000$ par année; moins que la moitié du plein salaire à la formation régulière. Même s’il y a moins de tâches connexes à la prestation de cours à la formation continue, cette différence ne vaut pas 50% du travail à la formation régulière.
- Pour les enseignants à la formation continue, il y a aussi un manque important de flexibilité à l’égard des contraintes horaires, de la conciliation famille-travail, études-travail ou travail-travail.
- Dans plusieurs cégeps, les dates de postulation pour les tâches d’enseignement à la formation continue sont impossibles à concilier avec les tâches du régulier et peuvent notamment causer des problèmes de double emploi ou de respect des priorités d’embauche.
- Pour ce qui est des «spécialistes de contenu» de la reconnaissance des acquis (RAC), ils ne sont littéralement pas reconnus par notre convention collective alors qu’ils effectuent de toute évidence les mêmes tâches qui sont stipulées dans la description des tâches des enseignants de notre convention. Donc, ils vivent beaucoup d’insécurité d’emploi, subissent l’arbitraire des modes de fonctionnement de la RAC, et vivent avec l’ambiguïté des rôles des conseillers pédagogiques.
- Autant pour la RAC et la FC, les enseignants n’ont pas le même accès aux avantages sociaux dont nous jouissons à la formation régulière : congés de maladie, accès aux assurances, etc..
Autres
- Un des points prioritaires pour les membres du GRASSP, qui ne constitue pas un enjeu de négociation de la convention collective en tant que telle puisque la convention dicte la distribution de la tarte et non l’ampleur de la tarte, est celui du financement des cégeps.
Bien entendu, une amélioration du financement des cégeps n’éliminerait pas la précarité. Mais il ne s’agit pas seulement non plus de déplacer le problème. Cela permettrait à des précaires de longue date de vivre enfin un peu de sécurité. Cela amènerait aussi du sang neuf dans le corps professoral et, bien entendu, cela permettrait à l’ensemble des professeurs de souffler un peu et d’être plus heureux au travail, en plus de permettre un meilleur encadrement des étudiants éprouvant des difficultés, ce qui est particulièrement important dans le contexte expliqué précédemment.
- Autre fait regretté par plusieurs de nos membres : la cannibalisation des cégeps entre eux. Plutôt qu’une concertation quant à l’ouverture de programmes, alors que nous sommes tous des acteurs d’une même institution dévouée au bien commun, nous constatons plusieurs cas de compétition propre à la concurrence de l’économie de marché entre les entreprises privées. Cette logique et celle de la marchandisation du savoir en inquiète plus d’un.
Conclusion
Alors que nous en sommes encore à élaborer nos priorités pour la prochaine négociation collective, les membres du GRASPP se sont assurés de présenter plusieurs de ces difficultés à leur syndicat respectif et nous sommes heureux de constater un vent de solidarité fort et généralisé au sein de la FNEEQ.
Nous avons aussi tenu une soirée de discussions très constructive, le 14 février dernier, avec la généreuse invitation du Syndicat des professeurs du cégep de Saint-Laurent, lors de laquelle nous avons été heureux de constater l’attention que nous recevions des membres du comité de négociation de notre fédération syndicale.
Lors d’une prochaine parution, nous tenterons de proposer une synthèse des pistes de solutions qui pourraient devenir de prometteuses revendications qui permettraient de réelles améliorations de la situation des professeurs « tampons » que notre actuelle convention collective produit.
Francis Boudreau
Professeur, département de philosophie
Cofondateur du Groupe de réflexion et d’action en solidarité avec les profs précaires (GRASPP)
Page facebook du GRASPP: https://www.facebook.com/groups/347195438971788/
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