Les États généraux de l’enseignement supérieur, 2e édition, auront lieu cette semaine, du 3 au 5 mai inclusivement. Afin de présenter la nature de cet exercice collectif, de sa pertinence et de ses possibles retombées, les participants-es aux ÉGES 1 du Collège de Maisonneuve ont préparé une synthèse de leur expérience de l’an dernier et leur vision des États généraux dans leur ensemble.
Marc LeBlanc
Professeur, département de Lettres
Parmi les ateliers du vendredi 19 mai 2017, en après-midi, l’un des plus courus fut « Pratiques de la gouvernance et gestion autoritaire : les attaques et les moyens de les contrer », donné par Mathieu Bhérer (Cégep de Lévis-Lauzon), Véronique Lépine (FNEEQ-CSN) et Jean Portugais (SGPUM). En fait, il a fallu changer de local pour que l’atelier ait lieu, tant était grand le nombre des intéressé.e.s. Les interventions ont porté essentiellement sur les conflits entre la direction et le corps professoral du Cégep de Lévis-Lauzon qui ont éclaté au début des années 2010 et qui ont révélé la pression exercée par certaines pratiques de gestion autoritaire afin de détourner les cégeps et les universités de leur mandat de service public. À la suite de remplacements à la direction, le style de gestion a changé et est devenu autoritaire : enseignant.e.s évincé.e.s des comités décisionnels, représailles envers des membres du corps enseignant, impositions des volontés de la direction là où l’on cherchait avant le consensus entre les diverses instances. L’atelier a pris tout son intérêt grâce aux pertinentes leçons tirées par les enseignant.e.s de Lévis-Lauzon (le climat s’est finalement replacé en leur faveur) et surtout grâce aux stratégies expliquées et tout à fait applicables dans d’autres milieux, comme de « nourrir la bête » en montrant du zèle dans les demandes de contrôle de la direction (rapports interminables et sibyllins qui engorgent l’appareil de gestion, plans de cours hyperdétaillés…) ou de se réapproprier le vocabulaire des débats et des rapports, en exigeant, par exemple, de remplacer systématiquement les mots « clientèle étudiante » par « élèves », ce qui a pour effet de clarifier dans tous les esprits la mission de l’enseignement. Ce côté terre-à-terre des ÉGES a de quoi satisfaire les sceptiques qui craignent de participer à une simple session collective de pelletage de nuages.
Anne-Marie LeSaux
Professeure de sociologie, département des sciences sociales
L’importance de penser les études supérieures et l’ensemble du système éducatif québécois
La pertinence des ÉGES, bien que l’exercice demeure imparfait, réside tout d’abord dans cet espace collectif que nous nous donnons en tant que professeurs pour penser l’école à la fois comme milieu de vie et de savoir. Nous retenons notamment des ÉGES un échange collectif dans le cadre d’un atelier de clôture qui proposait une synthèse des discussions qui se sont déroulées pendant cette première édition de mai 2017. De cet échange collectif ont émergé quelques réflexions portant notamment sur la nécessité de penser certains des enjeux qui traversent les études supérieures en réfléchissant plus globalement au système éducatif québécois.
Les coupures de 1 milliard des dernières années sous le gouvernement libéral dans le système de l’éducation ne sont pas sans avoir fragilisé à la fois le système éducatif en tant que tel et surtout les élèves en difficulté. La réduction du nombre de professionnels au sein des établissements scolaires tels que des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs, des orthophonistes, des orthopédagogues témoigne d’un échec non pas seulement du ministère de l’éducation, mais aussi d’un échec collectif à l’égard des élèves largués par le système éducatif québécois.
Nous ne pouvons espérer que le plus grand nombre d’enfants puissent un jour bénéficier des études supérieures sans donner à ces derniers, dès leur arrivée dans le monde scolaire, tous les moyens afin de s’y épanouir et de réussir. Donner aux enfants les moyens de s’épanouir et de réussir ne peut se faire sans améliorer les conditions de travail, plus particulièrement des enseignants du primaire et du secondaire pour que des passionnés puissent encore désirer œuvrer dans les écoles tels des artisans du savoir et des éveilleurs de conscience. (Dominique Scali, Pénurie de profs: des enseignants qui ont déjà une classe sont obligés de faire du remplacement, Journal de Montréal, 9 mars 2018).
Dans une autre perspective, nous croyons essentiel de former dès le primaire des citoyens critiques. Comme le disait le sociologue québécois Fernand Dumont, l’école est une préparation au monde des adultes. Non pas une pratique à la vie sociale ambiante ou une reconduction de ses jouissances immédiates, mais bien « un ailleurs pour penser ».
Il en va donc de notre responsabilité collective de nous assurer que l’école puisse former des citoyens critiques et d’inscrire au cœur de nos débats de société le système d’éducation. Les ÉGES seront une fois de plus un espace où différents acteurs sociaux échangeront sur les problèmes inhérents aux études supérieures (alourdissement de la tâche, gouvernance managériale, logique concurrentielle entre les différents collèges pour « recruter les clientèles étudiantes ») afin de penser le système éducatif québécois dans son ensemble. Plus concrètement, la visée des ÉGES est de faire de l’école un enjeu des prochaines élections provinciales.
Ann Comtois,
Professeure, département de psychologie
Vice-présidente à l’information SPPCM
Les ÉGES m’intéressent, voici pourquoi.
Des multiples conférences et ateliers auxquels j’ai assisté durant les ÉGES 2017, je retiens l’ampleur de l’érosion du réseau de l’enseignement supérieur. Au fil des ans, un réseau parallèle d’enseignement, celui de la formation continue au collégial (incluant ses déclinaisons, AEC, RAC et autres formations spécifiques) et des chargés-es de cours universitaires, s’est graduellement développé. Inévitablement, l’érosion des conditions de travail dans le réseau s’est accentuée. Il était très choquant d’entendre les chargés de cours décrire comment leurs conditions de travail se sont détériorées. Selon Olivier Aubry, chargé de cours à l’UQÀM, non seulement les chargés-es de cours ne peuvent être chercheurs-es principaux-les d’un projet de recherche, ils et elles n’ont pas nécessairement accès à des bureaux sur leur lieu de travail et doivent parfois payer de leur poches les mises à jour disciplinaires. 75% des chargés-es de cours ont gagné moins de 30000$/année, alors que le salaire médian d’un professeur serait de 98000$. Les chargés-es de cours du niveau collégial pourraient sûrement nous donner des exemples tout aussi consternants. J’ai constaté -une fois de plus- que le financement chroniquement insuffisant du réseau de l’éducation, accompagné de l’essor de l’idéologie néolibérale, ont contribué au transfert d’un paradigme humaniste de la formation collégiale et universitaire à une visée utilitaire de l’éducation, au détriment de celle-ci. Ceci se manifeste de différentes façons : montée d’une gouvernance managériale, implantation tous programmes confondus de l’approche par compétence, dont la pertinence dans les programmes pré-universitaires reste à confirmer, développement d’une vision de l’enseignement supérieur axée sur la rentabilité, financée selon ce que cela devrait « rapporter ». Administrations, directions d’études, chargés-es de cours et professeurs-es gaspillent énergie et temps à dénicher différents modes de financement : programmes à l’étranger, recrutement d’étudiants internationaux, profils de formation pré-universitaire, développement galopant d’AEC, RAC et autres programmes. Cela positionne les institutions, et ses employés-es, les uns contre les autres, à la quête du plus grand nombre d’inscriptions étudiantes, gage d’un financement et de la sauvegarde (ou non) de ses programmes.
La qualité de l’éducation supérieure et des conditions de travail de ses artisans n’en a pas été bonifiée, bien au contraire. La précarisation du réseau de l’éducation ainsi que le transfert de paradigme idéologique en éducation ont été unanimement décriés durant les ÉGES, avec raison. Il est important de se rappeler que la vocation première des cégeps, et de l’enseignement supérieur par surcroît, était au départ de permettre de former non seulement des travailleurs, mais aussi des citoyens dotés de sens critique. Ce dernier objectif ne doit pas faire partie du passé, être un vœu pieux ou un objectif noble dont on se rappelle avec nostalgie ou fatalisme, mais une revendication à mettre à l’avant-plan plus que jamais.
Ethel Groffié, professeure de droit à McGill, nous invitait lors des ÉGES I à occuper la place publique et dénoncer. Je trouve cela important de le faire, et c’est ce que je nous invite à faire. En s’intéressant et en participant aux ÉGES du 3 au 5 mai 2018, tout en gardant l’esprit et les revendications émanant des ÉGES bien vivants dans nos milieux de travail respectifs.
Ariane Robitaille
Professeure, département de mathématique
Vice-présidente aux relations de travail SPPCM
Ce que je retiens des ÉGES I? Le financement, c’est la clé. Point barre. Je demeure partagée quant à la portée des ÉGES. Selon moi, les conclusions dégagées à la fin de cet exercice collectif sous-entendaient un consensus beaucoup plus large que dans la réalité. En effet, les professeurs-es du secteur technique collégial ainsi que les enseignants-es de la formation continue étaient peu présents-es. C’est loin d’être un reproche, c’est un simple constat, qui s’explique, entre autres choses, par la volatilité de leurs conditions de travail. On ne peut pas toujours refuser des contrats sous prétexte d’assister à un exercice du genre; il faut avant tout mettre du pain sur la table.
Ce qui fait que le consensus dégagé l’an dernier touchait davantage le secteur des humanités, qui se sentait attaqué directement. Il faut bien sûr déplorer cet état des choses ainsi que le malfinancement de l’enseignement supérieur, qui sont des réalités. Mais en tant que professeure de sciences, je me suis sentie moins incluse.
En souhaitant une meilleure représentation de tous les corps enseignants aux ÉGES II, ou au moins qu’on tienne compte de toutes les réalités dans l’élaboration de pistes d’action aux ÉGES II.
Jean Sébastien
Professeur, département de Lettres
L’éducation supérieure universitaire et collégiale reste le plus souvent repliée sur elle-même, formant les jeunes dont l’histoire familiale encourage aux études. Les premiers États généraux de l’enseignement supérieur ont permis d’ouvrir à la remise en question de cet état de fait en invitant des spécialistes en éducation populaire. À l’époque où naissaient les cégeps et le réseau de l’UQ, l’expression « éducation populaire », aujourd’hui peu usitée, a décrit une pratique d’éducation autonome développée dans les groupes communautaires. Anne St-Cerny, de Relais-femmes, a rappelé comment les activités d’éducation restent centrales dans les pratiques de nombreux groupes féministes. Claude Champagne, du Centre Saint-Pierre, a pour sa part donné en exemples des groupes auxquels le centre a donné son appui au fil des ans et qui permettent aux citoyens de s’organiser autour d’enjeux sociaux. Le milieu communautaire assure une formation sur des enjeux diversifiés : l’éducation financière avec les associations coopératives d’économie familiale ; la maîtrise de logiciels courants dans le cas de Communautique ; le droit aux vacances dans le cas du Carrefour familial Hochelaga ; le droit à un niveau de vie décent dans le cas de l’Association pour la défense des droits sociaux.
Christopher Pitchon
Professeur, département de philosophie
Un des éléments qui m’a le plus frappé lors des EGES est que nous étions nombreux à constater les mêmes choses chez les directions des collèges et universités, les mêmes stratégies pour retirer le pouvoir des mains des professeurs et des étudiants. Il est difficile de savoir si ces actes sont concertés, mais ils semblent en tout cas délibérés. Une des dimensions qui me semble première est le langage, le vocabulaire qu’on emploie pour nommer. Nous étions nombreux à remarquer que le vocabulaire des directions et le vocabulaire pédagogique ont changé avec le temps et en général, pas pour le mieux. Ce qui était clair et précis autrefois est peu à peu détourné ou vidé de son sens original. Les étudiants ou élèves sont devenus « clientèle », et « apprenants », les professeurs sont devenus « personnel enseignant », que des plans architecturaux pour des rénovations majeures deviennent « des esquisses de blocage d’espace » et il y en a bien d’autres qui se créent au gré des besoins.
Ces changements qui peuvent sembler anodins ne le sont pas. Les mots sont les matériaux premiers de la pensée : changez les mots et vous changerez la manière dont on peut penser les choses. Quand on demande à différents locuteurs comment ils qualifieraient un pont, les réponses varient selon les langues. Dans les langues où le mot « pont » est masculin, on lui attribuera des qualificatifs traditionnellement associés aux hommes : robustesse, solidité, etc. Dans celles où le même mot est féminin, on lui associera plutôt des traits traditionnellement féminins : finesse, élégance, etc.[1]. Orwell a probablement le mieux illustré l’importance d’un tel phénomène dans 1984 avec le novlangue. Son objectif, d’après le responsable du dictionnaire, était d’éliminer le crime par la pensée à la racine : en enlevant les moyens mêmes de le penser. Ces changements n’ont d’ailleurs pas seulement lieu en éducation, les patients du système de santé sont maintenant appelés clients par le personnel soignant… pardon, par les infirmières, les infirmiers, les préposé.e.s et les médecins. En choisissant un mot qui vient d’un autre domaine (celui des affaires et de la gestion), on importe en même temps les impressions, les émotions et la signification rattachées à ce concept dans un milieu où la notion n’avait, a priori, aucun sens. Si nous avons affaire à un client, c’est qu’il achète quelque chose (c’est la fonction première du client). Qu’achète-t-il donc ? Son éducation ou ses soins. L’éducation n’est donc plus un droit et une partie fondamentale de l’expérience humaine et citoyenne, c’est quelque chose qu’on achète et qu’on vend, comme n’importe quel autre produit, pavant la voie à la marchandisation. Il faut commencer par se réapproprier les mots.
[1] À ce sujet, voir la conférence TED de Lera Boroditsky : « How language shapes the way we think », 2017, https://www.ted.com/talks/lera_boroditsky_how_language_shapes_the_way_we_think
Annie Thériault
Professeure, département de philosophie
Lors des EGES tenus en 2017, les intervenants dressaient un tableau peu réjouissant de l’état de notre système éducatif. En effet, les valeurs du néo-libéralisme économique que sont, entre autres, le rendement, l’efficacité, la bonification des ressources humaines et matérielles, en plus d’opérer une transformation significative des instances décisionnelles en enseignement, ont modifié notre conception de l’éducation et ses fonctions. La pensée humaniste qui a nourri la construction de notre système scolaire et ses objectifs est dorénavant perçue comme obsolète par son incapacité à évoluer avec la société et les valeurs de celle-ci. Une solution de rechange est proposée à cette idéologie désuète: une structure scolaire efficace et utile qui s’inscrit dans son époque.
Qu’entend-on exactement par les termes efficace et utile? Est utile ce qui répond aux valeurs du néo-libéralisme économique. Ainsi, la formation des personnes ne se trouve plus dans la connaissance de soi et de l’autre, pas plus que dans la capacité à penser par soi-même, dans un examen critique de la tradition ou dans la recherche de l’égalité de traitement. Elle se trouve dans l’employabilité des ressources humaines disponibles. Il faut des résultats visibles rapidement, satisfaire notre besoin en main-d’oeuvre.
Avec ces critères de performance, l’accès aux bourses d’études, aux chaires de recherche et même aux emplois bien rémunérés s’est avéré plus difficile pour les femmes accentuant ainsi les inégalités au lieu de les réduire. Les mécanismes de sélection favorisent systématiquement les personnes ayant effectué leur cursus scolaire dans les temps et ayant à leur actif beaucoup d’articles et de participations à des colloques. Or, les chiffres démontrent que les femmes sont plus souvent en situation de précarité ce qui les oblige à opter pour une formation à temps partiel. À cela s’ajoute un plus grand malaise à s’exprimer publiquement ressenti par une majorité de femmes. Cette tendance a pour effet de réduire leur participation à des colloques. La liste des effets pervers de cette exigence de performance est longue et a pour effet de favoriser un type spécifique de personnes. Au demeurant, les femmes, bien que plus nombreuses à l’université, complètent moins souvent un diplôme des cycles supérieurs. Reste cette question: Comment dans une telle transformation de l’éducation permettre une plus grande inclusion et sensibilisation à ces questions?
Benoît Lacoursière
Professeur de sc. politique, département des sc. sociales
président SPPCM
L’importance du 2e rendez-vous des États généraux de l’enseignement supérieur (EGES)
Du 3 au 5 mai prochain se déroulera le 2e rendez-vous des États généraux de l’enseignement supérieur à l’Université du Québec à Montréal. Cette grande rencontre permettra d’établir des revendications à formuler auprès des décideurs (patrons et politiciens) de l’enseignement supérieur. Nous pourrons aussi interpeller ceux-ci lors de l’événement.
Nous placerons les enjeux des prochaines élections provinciales. Nous pourrons ainsi faire de l’éducation en général, et de l’enseignement supérieur en particulier, un sujet incontournable de ces élections.
Pour s’inscrire aux ÉGES: www.eges.quebec
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