L’édition du Stage Maroc 2018 s’est déroulée du 1er au 20 janvier. Vingt-trois étudiants en sciences humaines (ou en double DEC) y ont pris part, accompagnés cette année par Anne-Marie Le Saux (sociologie) et J-Félix Chénier (politique).
Le stage Maroc est en place au Collège depuis près de 20 ans. Depuis 2009 notre partenaire local – Humanisme sans frontière, une ONG marocaine – prend part à l’organisation d’une « semaine académique » lors de laquelle nos stagiaires ont l’occasion de rencontrer des intellectuels, des militants de la vie associative et des élus de divers paliers décisionnels. Nous sommes alors à quelques doigts de la Personne du Roi (le Roi du Maroc est le Commandeur des croyants de son pays – Amir al Mouminine), donc au cœur de l’élite marocaine.
Pour les deux semaines qui suivent, nos étudiants et étudiantes (plus nombreuses, comme à chaque année!) ont l’opportunité de pénétrer les autres couches de l’extraordinaire diversité de ce pays : la ville de Fès (patrimoine mondial, Fès fut LE centre intellectuel du monde arabe pendant tout le Moyen-Âge, période alors plus faste dit-on souvent en Orient arabe qu’en Occident); le village aux sources thermales de Moulay Yacoub (visité par des Marocains pour ses eaux aux propriétés guérisseuses); Essaouira, la campagne de Tidzi, où ils séjournent trois jours en familles Amazighs (les Amazighs sont les populations autochtones du Maroc, elles ont été arabisées puis islamisées à partir du 8e siècle); la ville turbulente et étourdissante de Marrakech ainsi que les petits villages reculés du Haut Atlas.
En dépit de la pauvreté matérielle des villages éloignés du Haut Atlas ou de la campagne de Tidzi, chaque famille possède une culture culinaire plus qu’impressionnante : avec peu de moyens et d’ingrédients, on y cuisine souvent des plats exquis et subtils, y compris le fameux pain berbère cuit sur le feu avec des broussailles d’arganier. Toutefois, cette pauvreté prend forme dans une certaine dureté du quotidien, celle des hommes mais aussi celle des femmes. Pendant que les hommes cherchent du travail dans les grandes villes marocaines, les femmes amazighes sont traditionnellement destinées à des tâches domestiques et physiques des plus exigeantes, allant de la préparation quotidienne des repas au transport d’imposants ballots de bois, courbant le dos et les épaules sur plusieurs kilomètres, à travers champs et collines, elles transportent jusqu’à leurs demeures ces lourdes charges qui serviront à la préparation du feu.
La démarche académique reliée au stage Maroc
Le Stage est intégré au cours Démarche d’intégration des acquis en sciences humaines qui clôture le DEC. Avant de partir, les étudiants doivent développer une question de recherche relative à la citoyenneté au Maroc et investiguer pendant et après le stage en puisant dans toutes les ressources disponibles : sources académiques, revues spécialisées, livres, conférences tenues sur place, observations-terrains, discussions informelles, etc.
Plus précisément, il s’agit pour les étudiants de rédiger un travail qui fait état des situations socio-politiques se dressant comme des obstacles à l’exercice de la citoyenneté. À travers des thèmes de recherche tels que l’accès inégal à l’éducation, le statut de la langue amazighe- le tamazight, qui existe en plusieurs dialectes- l’accès différencié au système de justice, la pauvreté, le mariage des jeunes filles, le peu de place au sein de l’espace public pour l’expression d’une reconnaissance des droits des LGBT, les enjeux sociaux qui tracent les pourtours de la société marocaine sont ainsi analysés. Comme toute société, et peut-être encore plus du fait que le Maroc s’inscrit dans un processus de modernisation et de libéralisation, les acteurs de la société civile marocaine font face à un défi social de taille afin de dynamiser la citoyenneté et l’action politique.
Découvrir le Maroc et voir notre société sous un nouvel angle
Le Maroc est une société construite sur l’honneur et le respect, et pour y faire sa place, les individus comme les associations doivent cultiver ces vertus et maintenir des réseaux actifs qui se consolident justement par ces comportements mutuellement entretenus. En plus de l’honneur, socle sur lequel repose la bonne communication sociale, la société marocaine se voit traversée, comme toute société d’ailleurs, par des contradictions, par un décalage entre ce qui est dit et ce qu’il est permis de faire et de ne pas faire dans l’espace public. À travers un stage juxtaposant l’expérience académique et culturelle, il devient alors possible de réaliser que ce n’est pas que l’Autre, l’ailleurs, le Maghreb, qui porte en lui des contradictions, mais aussi sa propre société. Ainsi, tout comme l’analyste du social (tantôt politologue, tantôt sociologue, tantôt historien), le stagiaire devra éviter de poser un regard ethnocentrique afin de comprendre de la manière la plus éclairée possible la société qui s’ouvre à lui dans ce qu’elle a éminemment complexe en regard des normes formelles et informelles la régulant.
Nous espérons que les prochaines éditions seront à la hauteur des précédentes et que la population étudiante du Collège pourra continuer de vivre cette expérience hors du commun, qui, nous le constatons d’années en années, change les étudiants qui s’y engagent, et nous en sommes persuadés, pour le mieux! Ils et elles en sortent transformés, plus solidaires entre eux, plus critiques de leur propre société et plus ouverts aux cultures et modes de vie issus d’un autre espace culturel et politique.
Jean-Félix Chénier
Anne-Marie Le Saux
Professeurs-accompagnateurs de l’édition 2018 du Stage Maroc
Collège de Maisonneuve
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