Le récit de John Wesley : une histoire fantastique à
l’occasion de l’Halloween.
Traduction de Normand Provencher
Professeur en TGE[1]
« C’est une hardiesse dangereuse et de conséquence, oultre l’absurde témérité qu’elle traisne quand et soy, de mespriser ce que nous ne concevons pas : car aprez que, selon vostre bel entendement, vous avez estably les limites de la vérité et de la mensonge, et qu’il se trouve que vous avez nécessairement à croire des choses où il y a encore plus d’estrangeté qu’en ce que vous niez, vous vous estes desia obligé de les abandonner… »
Montaigne
Le récit suivant a été recueilli quelques années après les faits par un des membres de la famille Wesley, les victimes étant trop jeunes au moment des événements pour en avoir gardé un souvenir précis. Le tout est complété par un échange épistolaire entre Mme Wesley et certains de ses enfants. La Saint-Martin (Martimas) correspond à ce que nous appelons aujourd’hui ‘Halloween’. Toute imprécision dans le texte est à mettre au compte de ma traduction. N.P.
Alors que je n’étais qu’un enfant, j’ai entendu lire plusieurs lettres écrites par mon père, où celui-ci rendait compte, à mon frère aîné, des événements étranges qui s’étaient produits dans sa maison d’Epworth, au Lincolnshire. Lorsque j’y suis allé, en l’année 1720, je ne manquai pas d’enquêter sur les détails de cette histoire. Après avoir parlé à toutes les personnes qui habitaient à ce moment dans la maison, je recueillis par écrit ce que chacun était en mesure d’en témoigner. En voici le compte rendu.
Le 2e du mois de décembre 1716, un peu avant dix heures du soir, alors que Robert Brown, le valet de mon père, était assis avec une des bonnes dans la salle à manger, ils entendirent frapper à la porte. On frappait incessamment, et ils crurent entendre un gémissement. «C’est M. Turpine », dit Robert, en ouvrant, «il a des calculs, je reconnais ses gémissements. » Il ouvrit ainsi deux ou trois fois, puisque l’on continuait de frapper, alors qu’il n’y avait jamais personne. Un peu effrayés, ils se levèrent et allèrent se coucher. Lorsque Robert arriva au haut des escaliers du grenier, où il avait son lit, il vit à quelque distance devant lui un petit moulin à bras qui tournoyait très rapidement.
Le lendemain, ils racontèrent ces événements à l’autre bonne qui, riant de bon cœur, leur dit : « Que vous êtes sots ! Je mets au défi quoi que ce soit de m’effrayer à ce point. » Le soir même, après avoir battu le beurre, elle le mit sur un plateau et ne l’avait pas aussitôt porté à la laiterie, qu’elle entendit des coups sur la tablette où étaient rangés plusieurs tonneaux de lait, d’abord au-dessus, puis en dessous de la tablette. Elle prit la chandelle et inspecta l’endroit, par-dessus, par-dessous et par tous les côtés. N’y trouvant rien, elle s’enfuit, affolée, en renversant le plateau de beurre.
Le lendemain au soir, vers cinq ou six heures, ma sœur Molly, qui était âgée à ce moment de vingt ans environ, se trouvait dans la salle à manger. Elle était assise, occupée à lire, lorsqu’elle entendit un bruit comme le ferait en s’ouvrant la porte qui mène à la grande salle, puis les pas de quelqu’un qui entrait. On aurait pu croire, au son du frou-frou, à quelqu’un qui portait une chemise de nuit en soie. Les pas semblèrent en faire le tour, puis s’en retourner vers la porte, puis revenir en faire le tour à nouveau ; mais pendant tout ce temps, Molly ne voyait rien. Elle se dit à elle-même : « Il est inutile de m’enfuir ; quoi que soit cette chose, elle doit sûrement courir plus vite que moi. » Sur ce, elle se leva, mit son livre sous son bras, et s’éloigna lentement.
Après le souper, alors qu’elle était assise dans une des pièces avec une autre de mes sœurs, Sukey, son aînée d’environ une année, elle lui raconta ce qui lui était arrivé. Sukey prit cela à la légère, lui disant, « Je suis étonnée que vous soyez si facilement apeurée ; je voudrais bien voir ce qui pourrait me terrifier ainsi. » À ce moment, des coups se firent entendre sous la table. Sukey prit la chandelle et se pencha pour voir, mais ne trouva rien. Alors le châssis de fer et les battants se mirent à se choquer avec fracas, ainsi que le couvercle de la bassinoire. Après quoi le verrou se mit à bouger par lui-même, verrouillant et déverrouillant la porte sans cesse. Sukey se leva et sauta d’un bond dans son lit, tout habillée, tirant les draps par-dessus sa tête, et n’aventura de regard qu’au lendemain matin.
Quelques jours plus tard, ma sœur Hetty, d’une année plus jeune que Molly, attendait comme d’habitude entre neuf et dix heures du soir, pour emporter la chandelle de mon père, lorsqu’elle entendit quelqu’un descendre les escaliers du grenier, passer lentement devant elle, descendre les grands escaliers, monter les escaliers de service, et enfin remonter les escaliers du grenier ; à chaque pas elle avait l’impression que la maison tout entière était ébranlée. À ce moment mon père cogna. Elle entra, prit la chandelle et se mit au lit aussitôt qu’elle le put.
Au matin, elle rapporta l’incident à ma sœur la plus âgée, qui lui dit : « Tu sais, je ne crois rien de tout cela ; je t’en prie, laisse-moi ce soir emporter la chandelle et je mettrai à jour cette duperie. » Hetty ayant donné son accord, le soir venu elle prit sa place et n’avait pas si tôt emporté la chandelle qu’elle entendit un bruit à l’étage du dessous. Elle se pressa de descendre les escaliers pour se rendre dans la grande salle, d’où venait le bruit, mais le bruit se fit alors entendre dans la cuisine. Elle courut vers la cuisine, où elle entendit tambouriner sur l’intérieur de la cloison. Lorsqu’elle en fit le tour, elle entendit plutôt tambouriner sur l’extérieur de la cloison ; et ainsi de suite, toujours du côté opposé à celui où elle se trouvait. À ce moment, on frappa à la porte arrière. Elle s’y précipita, déverrouilla sans faire de bruit et, lorsque les coups se produisirent à nouveau, elle ouvrit subitement ; mais il n’y avait rien. Aussitôt qu’elle eut refermé, les coups recommencèrent. Elle ouvrit une deuxième fois, mais ne vit toujours rien. Lorsqu’elle voulut refermer, la porte fut poussée violemment contre elle ; elle se retira et la porte s’ouvrit toute grande, mais rien n’apparut. Elle retourna pour fermer, et la porte fut à nouveau poussée contre elle, mais cette fois elle y mit son genou et son coude, la força et tourna la clé dans la serrure. Les coups continuaient, mais elle les ignora et monta se coucher. Toutefois, à partir de ce moment elle fut persuadée que l’affaire n’était pas une imposture.
Le lendemain matin, alors qu’elle racontait à ma mère ce qui était arrivé, celle-ci lui dit : «Si j’entends moi-même quelque chose, je saurai comment en juger.» Peu après, elle la supplia de venir à la pouponnière. Lorsqu’elle y entra, elle entendit dans l’encoignure de la pièce le balancement empressé d’un berceau ; mais il n’y avait pas eu de berceau à cet endroit depuis plusieurs années. Ma mère, convaincue qu’il s’agissait là d’un phénomène qui ne relevait pas des lois naturelles, pria avec émoi pour ne pas être ainsi importunée dans sa chambre le soir, et à aucun moment, pendant tout le temps que durèrent les manifestations, elle ne le fut.
Elle jugea alors qu’il était temps d’en parler à mon père. Apprenant tout cela, il s’emporta de colère et dit : « Sukey, j’ai honte de toi ; les enfants peuvent bien s’effrayer les uns les autres, mais toi, tu es une femme sensée, tu devrais être plus avisée. Je ne veux plus en entendre parler. » À six heures du soir, comme à l’habitude, il se mit à réciter les prières familiales. Lorsqu’il arriva à la prière pour le roi, on entendit frapper partout dans la pièce, et un coup retentissant accompagna le ‘amen’. Désormais, des coups se firent entendre matin et soir, au moment de la prière pour le roi.
Apprenant que M. Hoole, le vicaire de Haxey, un homme éminemment pieux et raisonnable, était en mesure de me donner de plus amples renseignements, je traversai chez lui. Il me dit : « Un jour Robert Brown vint ici et me dit que ton père souhaitait me voir. Lorsque j’y fus, il me dressa le portrait complet de tout ce qui était arrivé, particulièrement des coups entendus durant la prière. Mais, à ma grande satisfaction, il n’y eut aucun coup de frappé ce soir-là. Toutefois, entre neuf et dix heures du soir, une servante entra et dit : «Le vieux Jeffrey s’en vient, j’entends le signal.» Jeffrey était le nom d’un homme qui jadis était mort dans la maison. On m’informa que ce signal était entendu tous les soirs, vers dix heures moins le quart, tout au haut de la maison, angle nord-est, à l’extérieur. Cela ressemblait au croassement bruyant d’une scie ; ou plutôt au grincement d’un moulin à vent, lorsque celui-ci est tourné de façon à placer les voiles dans le vent. On entendit des coups au-dessus de nos têtes, alors M. Wesley, soulevant une bougie, dit : « Venez, Monsieur, vous serez maintenant en mesure d’entendre pour vous-même. »
Nous sommes montés à l’étage, lui, avec beaucoup d’espoir, et moi, pour dire vrai, pris d’une certaine frayeur. Arrivés à la pouponnière, on cognait dans la pièce d’à côté ; lorsque nous y fûmes, les coups venaient de la pouponnière. Et là les coups se poursuivirent, malgré que nous y fussions, particulièrement à la tête du lit, fabriquée en bois, où Hetty et deux de ses plus jeunes sœurs étaient couchées. M. Wesley, constatant qu’elles étaient, malgré leur sommeil, très affectées, transpirant et tremblotant démesurément, fut très en colère ; ayant sorti un pistolet, il s’apprêtait à tirer dans la direction d’où venaient les coups. Mais j’ai saisi son bras, en lui disant : « Monsieur, vous me dites que vous êtes certain que ce phénomène est surnaturel. Dans ce cas, vous ne pourrez pas blesser cette chose, vous n’arriverez qu’à lui donner le pouvoir de vous blesser à son tour.» Il s’approcha alors de l’endroit d’où venaient les coups, et dit sévèrement : « Toi, diable sourd et muet, pourquoi effrayes-tu ces enfants, qui ne sont pas en mesure de se défendre ? Venez me trouver moi, qui suis un homme, dans mon cabinet. » Dès cet instant, on entendit frapper un coup comme ceux qu’on entendait toujours à la porte, mais cette fois avec beaucoup plus de force, comme si l’on voulait fracasser la tête du lit ; après cela, nous n’avons plus rien entendu de la nuit. »
Jusque-là, mon père n’avait jamais été importuné dans son cabinet de travail par les manifestations. Mais, le lendemain soir, alors qu’il vint pour y entrer — et il est important de savoir que personne d’autre n’en avait la clé — la porte fut repoussée vers lui avec une telle violence qu’il aurait pu être renversé. Néanmoins, il la força et entra. On frappait incessamment, d’abord d’un côté, puis de l’autre, et, après un moment, les coups se faisaient plutôt entendre dans la pièce voisine, où se trouvait ma sœur Nancy. Il y alla et il adjura le responsable du tintamarre de s’exprimer verbalement, mais en vain. Alors, s’adressant à Nancy, il dit : « Les esprits aiment l’obscurité ; souffle la bougie, et peut-être qu’il va parler.» Ce qu’elle fit, et il répéta son adjuration ; mais on n’entendait toujours que des coups. Sur ce, il dit : « Nancy, deux chrétiens surclassent par trop le diable. Allez tout en bas ; peut-être que, quand je serai seul, il aura le courage de parler. » Quand elle fut partie, il eut une idée, et il dit : « Si tu es l’esprit de mon fils Samuel, je t’en prie frappe trois coups, mais sans plus.» Aussitôt, tout fut silence ; et l’on n’entendit plus frapper de toute la nuit.
J’ai demandé à ma sœur Nancy (alors âgée d’environ quinze ans) si elle n’avait pas eu peur quand mon père prononça son adjuration. Elle répondit qu’elle craignait surtout que les esprits parlent lorsqu’elle souffla la bougie ; mais elle n’avait pas peur du tout durant la journée, quand ils suivaient derrière, alors qu’elle balayait les chambres, comme ils faisaient toujours. Ils semblaient balayer après elle ; seulement, elle pensait qu’ils auraient aussi bien pu le faire pour elle, et lui en épargner la peine. À ce moment, mes sœurs étaient devenues tellement habituées aux bruits qu’ils ne les incommodaient plus. Généralement, entre neuf et dix heures du soir, il y avait un faible tapotement à la tête du lit. Elles se disaient alors : « Jeffrey arrive ; il est temps de dormir. » Et si elles entendaient frapper durant la journée, elles appelaient ma plus jeune sœur : « Tu entends, Kezzy, Jeffrey cogne à l’étage, » et elle y courait, poursuivant les bruits de pièce en pièce, affirmant qu’elle ne pouvait trouver meilleur divertissement.
Quelques nuits après, mon père et ma mère étaient à peine couchés, on n’avait même pas emporté la bougie, qu’ils entendirent trois coups, puis trois autres, puis trois autres encore, comme frappés avec un gros bâton sur un coffre qui se trouvait près du lit. Immédiatement mon père se leva, mit sa robe de chambre et, entendant de grands bruits à l’étage dessous, prit la chandelle et descendit, ma mère à ses côtés. Alors qu’ils descendaient les grands escaliers, ils entendirent un bruit semblable à un vase plein d’argenterie qui aurait avait été versé sur la poitrine de ma mère, l’argenterie déboulant en tintant jusqu’à ses pieds. Sitôt après, il y eut un bruit tel qu’on aurait pu croire qu’un boulet de canon avait été lancé parmi les nombreuses bouteilles que l’on gardait sous les escaliers, mais, vérification faite, tout était en ordre. Peu après, notre chien, un gros mastiff, arriva en courant et se réfugia entre eux. Au tout début des manifestations, pendant que les bruits se produisaient, il jappait et sautait, cherchant à mordre de tous côtés, et cela bien avant que quiconque ait entendu le moindre son. Mais, au deuxième ou troisième jour des événements, il avait plutôt pris l’habitude de s’enfuir en rampant et en tremblant avant que les bruits se fassent entendre, et par cela les membres de la famille savaient qu’une manifestation était proche, c’en était le signal assuré. Un peu avant que mon père et ma mère fussent entrés dans la grande salle, il y eut un bruit comme si un gros morceau de charbon avait été violemment lancé sur le plancher, se brisant en d’innombrables fragments ; mais ils ne virent rien. Alors mon père s’écria : « Sukey, n’entends-tu pas ? On éparpille tous les étains dans la cuisine », mais quand ils sont allés voir, tous les étains étaient à leur place. Ensuite, ils entendirent cogner très fort à la porte arrière. Mon père l’ouvrit, mais il n’y avait rien. Puis, on cognait à la porte d’en avant. Là encore il ouvrit, mais c’était toujours peine perdue. Après qu’il eut ainsi ouvert en avant et en arrière plusieurs fois, ils remontèrent se coucher. Mais les bruits étaient si violents dans toute la maison qu’ils n’ont pu dormir avant quatre heures du matin.
Plusieurs messieurs et membres du clergé conseillaient maintenant à mon père d’abandonner la maison ; mais il leur répondait toujours : « Non ; que ce soit le diable qui s’enfuit devant moi ; jamais je ne m’enfuirai devant le diable. » Cependant, il écrivit bientôt à mon frère aîné, qui habitait Londres, lui demandant de venir à Epworth. Alors que celui-ci se préparait à le faire, il reçut une autre lettre l’informant que les manifestations avaient cessé, après avoir eu lieu pendant la plus grande partie de la journée et de la nuit, de la 2e journée de décembre jusqu’à la fin de ce mois.
Lettre de Monsieur S. Wesley adressée à sa mère
Chère mère : Ceux qui ont la sagesse de ne pas croire aux phénomènes surnaturels, malgré qu’ils soient très bien attestés, pourraient trouver des centaines de questions à poser au sujet de ces bruits étranges dont vous m’avez fait la description ; pour ma part, je ne sais pas quelle question poser qui, si on y répondait, me pousserait à avoir davantage foi en ce que vous me dites. J’en ai pourtant entendu deux ou trois posées par d’autres. N’y a-t-il jamais eu une nouvelle bonne ou un nouveau serviteur dans la maison qui aurait pu jouer des tours? N’y avait-il pas quelqu’un au grenier, lorsqu’on y entendit marcher ? Est-ce que tous dans la famille ont entendu les bruits, étant dans la même pièce, au même moment ? Les bruits semblaient-ils se produire au même endroit, au même moment ? Se pourrait-il que des chats, ou des rats ou encore des chiens soient les coupables ? Est-ce que toute la famille dormait quand mon père et vous êtes descendus ? Répondre à de tels doutes, sachant qu’on ne pourrait, comme Dieu lui-même nous l’assure, convaincre ceux qui ne croient ni en Moïse ni aux prophètes, fortifierait malgré tout la certitude de ceux qui y croient. Pour ce qui est de mon opinion personnelle à propos des événements marqués par ces bruits, je n’en ai, je l’avoue, aucune. Puisqu’il ne fut pas permis à l’esprit de parler, je crois que toute présomption à propos de ses intentions ne pourra être que vaine. À quelle fin les esprits apparaissent-ils?, voilà qui est encore plus mystérieux que la finalité des hommes, question qui depuis toujours déconcerte les philosophes les plus subtils. Que nous soyons ainsi poussés de manière à être prêts à tout, voilà qui pourrait être une prévention de la Providence à notre égard. Cela est sûrement de notre devoir et relève de la plus grande sagesse que de le faire.
Chère mère, je vous demande de donner votre bénédiction à votre fils respectueux et affectueux,
Wesley
Dimanche, 19 janvier 1716, Dean’s Yard, Westminster.
Lettre de Mme Wesley destinée à son fils Samuel.
27 janvier 1716
Cher Fils : Bien que je ne sois pas de ceux pour qui il n’y a rien de surnaturel, étant plutôt portée à croire que, si ce n’était de notre profonde chute dans la sensualité, il y aurait de fréquents échanges entre nous et les bons esprits; j’ai pourtant été un bon moment avant de croire ce que les enfants et les serviteurs disaient à propos des bruits entendus à plusieurs endroits dans la maison. Encore plus, après avoir entendu moi-même les bruits, j’étais tout de même prête à me persuader, et eux également, qu’il ne s’agissait que de rats ou de belettes qui nous importunaient ; en effet, ayant été autrefois accablée par des rats, qui avaient été chassés en faisant sonner une trompette, j’en ai fait acheter une, et l’ai fait sonner partout dans la maison. Mais à partir de cette nuit où ils ont commencé à en sonner, les bruits sont devenus plus forts et distincts qu’auparavant, tant le jour que la nuit ; et cette nuit où nous nous sommes levés ton père et moi, et sommes descendus, je fus totalement convaincue qu’il dépassait les capacités d’un être humain de produire des bruits si étranges et variés.
Quant à vos questions, j’y répondrai ci-dessous ; mais cela étant dit, je souhaite que mes réponses ne satisfassent aucun autre que vous ; je ne veux pas qu’elles soient communiquées à quiconque. Nous avons eu à la fois un nouveau valet et une nouvelle femme de chambre cette dernière Saint-Martin, mais je ne crois pas que l’un d’eux ait occasionné les perturbations, autant pour la raison mentionnée ci-dessus, que parce qu’ils étaient les plus effrayés de tous.
D’ailleurs, nous avons souvent entendu les bruits alors qu’ils se trouvaient dans la pièce avec nous ; la bonne tombait le soir dans un tel état de panique qu’elle en devenait presque incapable d’effectuer ses tâches, ni n’osait jamais aller d’une pièce à l’autre, ni demeurer seule par elle-même pour une minute.
Le valet, Robert Brown, que vous connaissez bien, a été le plus importuné d’entre nous par les esprits ; couchant au grenier, il a été souvent si effrayé qu’il se précipitait en bas déchaussé et presque nu, n’osant pas rester seul pour mettre ses vêtements ; et je ne pense pas, s’il en avait eu l’occasion, qu’il aurait pu se rendre coupable d’une telle vilenie. Lorsque l’on a entendu marcher au grenier, Robert était couché dans la pièce voisine, dans un sommeil si profond qu’il ne nous a pas entendus ni descendre ni remonter, et ton père ne marchait pas doucement, je puis te l’assurer. Toute la famille les a entendus alors que nous étions ensemble, dans la même pièce, au même moment, particulièrement au moment des prières en famille. Ils semblaient toujours être au même endroit au même moment ; bien que souvent, avant que nous puissions dire qu’ils étaient là, ils se fussent déplacés à un autre endroit.
Toute la famille, ainsi que Robert, dormait lorsque ton père et moi sommes descendus, pas plus qu’ils ne se réveillèrent dans la pouponnière lorsque nous avons approché la bougie ; toutefois nous avons observé que Hetty tremblait excessivement dans son sommeil, comme elle faisait toujours avant que les bruits la réveillent. Les bruits étaient souvent plus près d’elle que des autres, ce dont elle se rendait compte, et ce qui l’effrayait beaucoup, parce qu’elle pensait que les esprits lui en voulaient à elle plus particulièrement. Je pourrais multiplier les exemples, mais je m’abstiens. Je crois que votre père vous écrira à ce sujet sous peu. Quelle que soit la raison que la Providence ait de permettre ces choses, je ne peux rien en dire : « Les choses secrètes appartiennent à Dieu. » Mais je suis entièrement d’accord avec vous qu’il est de notre devoir de nous préparer sérieusement à toutes les éventualités.
Un extrait du compte rendu de Nancy à son frère Jack.
Alors que cinq ou six d’entre nous étions assises ensemble à la pouponnière, il nous sembla qu’un berceau fut mis en mouvement dans la chambre au-dessus, malgré qu’il n’y ait jamais eu de berceau à cet endroit. Une nuit, j’étais assise sur le lit pliant jouant aux cartes ; il y avait mes sœurs Molly, Hetty, Patty et Kezzy dans la pièce, ainsi que Robert Brown. Le lit fut alors soulevé avec moi dessus. J’ai sauté du lit, et dit : «Sûrement, vieux Jeffrey ne se serait pas enfui avec moi. » Cependant, ils m’ont persuadée de m’asseoir à nouveau sur le lit, ce que j’avais à peine fait quand il a de nouveau été soulevé, et ce plusieurs fois de suite, et à une hauteur considérable, sur quoi je quittai mon siège, et ne me laissai plus convaincre de m’y asseoir à nouveau.
Chaque fois que l’on mentionnait Monsieur S., on entendait immédiatement des coups, qui continuaient jusqu’à ce que l’on change de sujet. Tout le temps que ma sœur Sukey était occupée à lui écrire sa lettre d’adieu, il y avait un très grand bruit dans toute la pièce; et la nuit après qu’elle partit pour Londres, on frappa jusqu’au matin, sans aucune interruption, ou presque.
Une fois, M. Hoole récita les prières, mais on cogna alors comme à l’habitude au moment de la prière pour le Roi et le Prince. Les coups frappés au moment des prières avaient seulement été entendus vers le début des perturbations, pendant une semaine environ.
Mais il est un fait dont tous les biographes de M. Wesley sont ignorants ; à savoir que Jeffrey, ainsi qu’on appelait l’esprit, a continué de maltraiter quelques branches de la famille pendant de nombreuses années. Nous savons que Mlle Emily Wesley avait été la première à lui donner le nom de Jeffrey, du nom d’un vieil homme qui y était mort ; et qu’elle était plus troublée par lui que n’importe quel autre membre de la famille.
[1] « Le récit de John Wesley » est une traduction du texte ‘John Wesley’s narrative’ (pp 13-23) qui parut dans le livre de E. W. Capron, Modern Spiritualism : Its Facts and Fanaticisms, its consistencies and contradictions, publié à Boston en 1855 par Bela Marsh (15 Franklin St. New York) et Partridge and Brittan, Philadelphie; dépôt légal en 1855 en Pennsylvanie par E. W. Capron.