Le poste de prof-pivot pour le programme des sciences humaines est une nouveauté apparue disons presque inopinément dans le financement des collèges à l’automne 2016.
Il aura donc fallu explorer et consulter beaucoup pour que la fonction soit bien accueillie tant au sein de la communauté des professeurs que du côté des professionnels. Car, disons-le d’entrée de jeu, ce poste et les diverses tâches qui y sont associées se situent aux intersections des pratiques professionnelles de chacun et chacune.
Lignes de frictions potentielles
Plusieurs professeurs peuvent en effet ressentir comme problématique le fait que le prof-pivot, un collègue, souvent d’une autre discipline, qui n’a pas d’autorité particulière sur autrui, puisse intervenir auprès de leurs étudiants ou leur écrire pour leur offrir un encadrement ou encore simplement attirer leur attention sur le fait que certains de leurs étudiants sont en difficulté. Ces profs y voient donc une intrusion dans leur autonomie professionnelle.
De la même manière, les professionnels et professionnelles du Collège, qui ont subi ces dernières années passablement de compressions budgétaires, ont pu entrevoir dans la création de ce nouveau poste, une fonction qui s’immisce dans leur propre champ d’intervention. Il m’est effectivement arrivé, lors de rencontres avec certains étudiants en difficulté, d’identifier avec eux les cours que l’on pourrait considérer comme des «causes perdues» et les cours sur lesquels mettre l’accent pour éviter un trop grand nombre d’échecs en fin de session. Il est évident que ce genre d’exercice relève généralement des API (aide pédagogique individuelle). De même, certaines difficultés rencontrées par la population étudiante sont de nature psychologique : une très grande proportion des étudiants rencontrés dans ma fonction de prof-pivot relevait lors de leur première rencontre avec moi des difficultés personnelles qui compromettaient leur réussite scolaire… Il faut donc que le prof-pivot sache écouter, mais surtout qu’il ne se prenne pas pour un psychologue et sache vite rediriger l’étudiant ou l’étudiante vers les services professionnels du Collège.
C’est aussi pourquoi une des tâches du prof-pivot est d’assister aux nombreux ateliers d’information donnés par le Service de développement pédagogique (SDP) ainsi que par le Service aux étudiants et à la collectivité (SAEC). Ceux-ci nous familiarisent avec la procédure et les « clientèles » du SAIDE, avec les diverses difficultés d’apprentissage de la population étudiante et avec d’autres problèmes touchant nos effectifs étudiants (santé mentale, troubles divers) en plus de fournir des stratégies pour y répondre.
On comprend donc, à la lumière de ces brefs exemples, que la tâche du prof-pivot est d’être une personne-ressource, capable de communiquer efficacement avec les diverses personnes assurant les divers services auprès de la population étudiante. J’aime croire que la fonction de prof-pivot doit assurer un continuum de services aux étudiants éprouvant des difficultés.
Quelques manières de procéder
Une des tâches du prof-pivot est de se servir du module «Suivi de la réussite» de LÉA pour identifier des étudiants ayant certaines difficultés ou en voie d’échec dans un ou plusieurs cours. Par contre, je me suis vite rendu compte qu’une fois ces étudiants identifiés, il est généralement peu productif de leur écrire un MIO pour solliciter une rencontre d’encadrement avec eux… Même si cette démarche est nécessaire, elle apparaît peu efficace. Il est donc préférable de «marcher son Collège» : c’est-à-dire que rencontrer en personne les profs qui enseignent les cours dans lesquels les étudiants sont en difficulté est plus efficace. D’ailleurs, ces visites aux collègues servent à sensibiliser le professeur aux difficultés éprouvées par certains de leurs étudiants. J’ai tendance à croire que ces micro-interventions auprès de collègues servent à quelque chose : ceux-ci sont davantage interpellés et ont ainsi tendance à être plus attentifs à ces étudiants… De plus, les invitations lancées par le prof-pivot aux étudiants en difficulté m’ont permis de rencontrer une quinzaine d’étudiants pour lesquels ma tâche a consisté à évaluer leurs besoins pour les orienter vers les services disponibles. Quelquefois, la rencontre avec le prof-pivot se limite à motiver l’étudiant à rencontrer ses profs ou à l’outiller pour qu’il ou elle aille chercher l’aide disponible…
Le rôle du prof-pivot est donc d’assurer un suivi, une relance, tant pour l’étudiant en difficulté que pour les profs qui les encadrent. Une rencontre de personne à personne a aussi l’avantage d’être plus claire que des courriels ou des MIO qui sont « noyés » dans la masse d’infos reçues, froids, anonymes ou qui peuvent être mal interprétés.
Il serait toutefois intéressant de pouvoir favoriser des séances de partage entre des professeurs qui ont les mêmes étudiants en difficultés (ces rencontres existent au Cégep de Sherbrooke, de même qu’au Collège Brébeuf)… Jusqu’ici, lorsque j’ai constaté qu’un étudiant éprouvait des difficultés dans plusieurs cours, je me suis limité à rencontrer un ou deux profs de cet étudiant, car il est généralement impossible de les réunir tous dans un délai raisonnable, c’est pourquoi il demeure préférable d’aller à la rencontre des profs dans leurs heures de disponibilité.
Au-delà du personnel enseignant, le rôle du prof-pivot est de communiquer régulièrement, au besoin, avec les travailleurs sociaux, le service de psychologie et d’orientation et les API du Collège. Il est important selon moi de faire une tournée des divers services et des professionnels qui y œuvrent, pour que ceux-ci connaissent le prof-pivot et lui témoignent leurs attentes en regard de cette nouvelle fonction. J’ai rencontré les travailleurs sociaux à quelques reprises, entre autres pour m’assurer d’un suivi de dossier que l’on pourrait qualifier d’« urgent ». Je me suis familiarisé avec le service de psychologie et avec la procédure pour que les étudiants y aient accès. J’ai rencontré les API du programme de Sciences humaines et je peux affirmer que le rôle du prof-pivot mériterait d’être balisé lors d’une rencontre ultérieure entre la Direction des études, le prof-pivot et les API responsables du programme. En effet, l’appréciation de ce poste et le niveau d’intervention qu’il est éventuellement appelé à faire dans le cadre de ses fonctions devrait être défini et balisé de manière à ne pas empiéter sur les actes réservés à nos collègues, les professionnels.
Pour ma part, il est évident que le prof-pivot doit connaître les limites de son champ d’intervention et rediriger rapidement tout étudiant devant bénéficier d’un service de la part des professionnels du Collège. Mais cela n’implique pas nécessairement, selon l’expérience que j’en ai et les conclusions que j’en tire, que la tâche du prof-pivot se limite à effectuer un suivi administratif sans jamais rencontrer les étudiants pour évaluer leurs difficultés et assurer une touche de proximité et d’humanité dans les divers services offerts.
Pistes à envisager
À la lumière de ce bilan préliminaire, on peut constater que le travail de bureau du prof-pivot représente une tâche significative : suivi de la réussite sur LÉA, écriture de nombreux MIO, rencontres avec les étudiants au bureau du prof, etc. Ce premier constat exigerait peut-être que le prof-pivot puisse bénéficier d’un bureau qui lui serait dédié. Car non seulement certaines discussions engagées avec les étudiants rencontrés sont très personnelles et délicates, mais si le prof-pivot avait un bureau permanent (peu importe qui effectue cette tâche), il serait plus visible pour la population étudiante du programme.
Dans la foulée de ce constat, il serait intéressant d’envisager que le prof-pivot devienne plus visible dès le début de la session : présentation de sa personne et de sa fonction aux journées d’accueil et visites des classes de premières années devraient être au menu de sa tâche. On pourrait également envisager que le prof-pivot devienne le responsable de la salle programme et, pourquoi pas, qu’il occupe le bureau actuellement dévolu à notre technicienne pour le cours de Méthodologie… De cette façon, la salle programme aurait un responsable bien identifié et celui-ci serait plus visible et son lieu de rencontre permanent. Je suggère également que le prof-pivot choisisse des périodes de disponibilités fixes entièrement dédiées à cette tâche…
Si nous adhérons à l’idée de fournir un bureau spécifique au prof-pivot, et si ce bureau est situé dans la salle-programme, le prof-pivot pourrait y organiser des séances de formation diverses, en lien avec les méthodes de travail intellectuel que le programme entend favoriser. D’ailleurs, il conviendrait de rendre plus facile, plus visible et plus accessible la publicité et les modalités d’inscriptions aux divers « ateliers de la réussite » offerts par le SAEC. Le prof-pivot pourrait contribuer à rendre cette procédure plus efficace.
En conclusion, outre certaines difficultés techniques rencontrées – accès tardif au module « Suivi de la réussite » de LÉA, impossibilité de communiquer avec tous les étudiants du programme (puisque je n’étais pas coordonnateur de programme, contrairement à mes collègues pivots des autres programmes), familiarisation avec ma tâche et démarches «diplomatiques» pour la faire accepter, il convient de rappeler que la tâche du prof-pivot nécessite un goût pour l’accueil et l’écoute des étudiants en difficulté. Il faut apprécier la relation d’aide individualisée pour effectuer cette tâche, tout en connaissant ses limites.
Le prof-pivot doit être considéré comme un relais entre les étudiants et les profs, de même qu’entre les étudiants et les services professionnels offerts au Collège. Il assure le continuum des services, réchappe certains étudiants, humanise l’aide aux étudiants en difficulté, favorise les rencontres avec les API et les autres professionnels. Il est important que le prof-pivot siège au comité programme et propose, à chaque réunion, un bilan et une discussion relatifs à ses tâches et aux moyens de les réaliser.
Jean-Félix Chénier
Professeur de science politique
Prof-pivot Sciences humaines 2016-17