L’austérité existe réellement et elle touche les plus vulnérables
Marc LeBlanc
Département de lettres
Les mesures d’austérité du gouvernement Couillard ont frappé les plus faibles parmi les citoyens. C’était une des conclusions de la protectrice du citoyen sortante en septembre 2016, Mme Raymonde Saint-Germain, et le rapport de septembre 2017 de la nouvelle protectrice, Mme Marie Rinfret, confirme cette tendance lourde.
Après avoir précisé d’entrée de jeu qu’elle publiait ce rapport « dans un contexte de cynisme ambiant à l’égard tant des élus que du personnel des services publics[1] », Mme Saint-Germain résumait ce que dix années à occuper ce poste d’observation privilégié lui avaient appris : « Au fil des ans, j’en suis arrivée à croire que les compressions budgétaires cumulées – dont je ne conteste pas la pertinence sur le fond, mais plutôt la sous-estimation de l’incidence réelle de certaines sur les citoyens – ont malgré tout été moins éprouvantes pour la bureaucratie que pour les personnes vulnérables[2]. » Ce faisant, elle contredisait l’argument selon lequel les coupures budgétaires n’affectent pas les services offerts à la population. Elle soulignait également que ce climat d’austérité avait exercé sur les gestionnaires une pression qui les a poussés à multiplier les contrôles, les menant ainsi, au nom de la rigueur budgétaire, à alourdir ou bloquer des secteurs de la gestion étatique : « Au fil des années, je constate que l’évaluation des administrateurs publics est de plus en plus fonction du rendement budgétaire et de la conformité aux processus (auxquels certes je souscris). Ces personnes sont avant tout jugées sur leur performance de gestion et non sur leur performance de service[3]. »
Sans surprise, les ministères de la Santé et de l’Éducation occupait une place de choix dans le rapport de Mme Saint-Germain. On y relèvait par exemple que l’abolition des agences régionales et la fusion d’établissements de santé publics par la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux entrée en vigueur le 1er avril 2015 avait rendu visible un fait fâcheux au sujet l’offre de soutien à domicile : lorsque des disparités existaient entre des établissements d’une même région, à travers les fusions « on avait tendance à implanter à l’ensemble du territoire la moins généreuse des offres[4] », ce qui revient à systématiser le nivellement vers le bas. La pression budgétaire évoquée plus haut provoque aussi des situations aussi déchirantes qu’absurdes : le Rapport évoque entre autres les cas d’une dame atteinte de sclérose en plaques et dont les heures de services de soutien ont été diminuées de 33 à 12 par semaine sous prétexte que son état demeurait stable : afin de conserver des soins qu’elle jugeait prioritaires, la patiente avait choisi d’épargner des heures consacrées à son lever et à son coucher en dormant dans sa chaise roulante[5].
L’éducation n’a pas échappé aux problèmes causés par l’austérité. Mme Saint-Germain formulait en 2016 plusieurs recommandations au sujet de l’aide financière aux études, relevant des incohérences jugées discriminatoires dans les calculs prenant en compte les rentes de veuve et d’orphelin[6], au sujet des traitement des demandes dérogatoires[7] et des problèmes d’exactitude dans les informations données par les bénéficiaires[8].
En septembre 2017, le rapport de Mme Marie Rinfret adopte un ton encore plus direct que l’on note dès le titre en forme de souhait du « Message de la protectrice du citoyen »: Planifier les transitions, mettre l’avenir des programmes publics au service de la personne[9]. Tout en reconnaissant qu’ «il est normal et souhaitable que les services publics évoluent », Mme Rinfret souligne l’importance de remettre le service aux citoyens au cœur de l’État en résumant les conséquences des dérapages : « Cette année, des personnes, souvent parmi les plus démunies, ont fait les frais de réformes administratives qui ont manqué de préparation et ont affecté leur sécurité personnelle et financière ainsi que le respect de leurs droits[10]. » Elle confirme également le nivellement par le bas constaté l’an dernier par la protectrice sortante dans le réseau de la santé[11]. Le Rapport consacre plusieurs pages au soutien à l’autonomie des personnes âgées[12], appuyant les recommandations d’exemples troublants de couples séparés par l’administration entre deux centres d’hébergement, d’autres qui sont sorties de leur milieu d’origine pour être relocalisées à plusieurs heures de voiture.
Dans le domaine de l’éducation, la protectrice du citoyen déplore que la modification des termes de fréquentation des établissement universitaires par des étudiant(e)s français(es) – qui, de 1978 à 2015, bénéficiaient des mêmes frais de scolarité que les résidents du Québec et doivent dorénavant acquitter les mêmes frais que les Canadiens non résidents – ait causé de nombreux cafouillages[13]. Elle recommande également de réviser l’encadrement légal de la scolarité à la maison puisque plusieurs problèmes ont été identifiés, comme « la disparité des pratiques d’encadrement et d’évaluation au sein du réseau scolaire, l’incapacité de certaines commissions scolaires de se doter d’une expertise en la matière et l’absence d’un recours efficace en cas de litige[14]. » Elle préconise enfin d’inclure les enfants dont les parents sont des migrants dans le régime de gratuité scolaire même si la Loi sur l’instruction publique réserve ce droit aux enfants de résidents du Québec, cela afin de ne pas contrevenir à la Convention relative aux droits de l’enfant déjà ratifiée par le Canada.
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[1]Rapport annuel d’activités 2015-2016 de la protectrice du citoyen, « Message de la protectrice du citoyen », p.7. https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_annuels/rapport-annuel-2015-2016-protecteur.pdf
[2]Ibid., p. 8.
[3]Ibid., p. 9.
[4]Ibid., p. 91.
[5]Ibid., p. 97.
[6]Ibid., p. 45-46.
[7]Ibid., p. 46.
[8]Ibid., p. 49.
[9] Rapport annuel d’activité 2016-2017 de la protectrice du citoyen, « Message de la protectrice du citoyen », p.7. https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_annuels/2016-2017-ra-protecteur.pdf
[10] Idem.
[11] « Du côté de la réforme de la santé et des services sociaux d’avril 2015, qui a ramené de 182 à 51 le nombre d’établissements publics, l’entreprise était colossale. Deux ans plus tard, je constate que l’offre de services tend à un nivellement par le bas. Des personnes qui, par exemple, recevaient quelques heures de services de soutien à domicile par semaine apprennent maintenant qu’elles n’y ont plus droit, alors que leurs besoins n’ont pas diminué. » : ibid., p. 8.
[12] Ibid., p. 113-117.
[13] Ibid., p. 49.
[14] Ibid., p. 51-52.